Critiques

Bugonia: L’art du complot selon Yórgos Lánthimos

Constant Carbonnelle

Après Kinds of Kindness, le réalisateur prolifique Yórgos Lánthimos revient avec une comédie satirique stylisée, mêlant théories du complot et… extraterrestres.

Canine, The Lobster, La Favorite, Pauvres Créatures : quand on évoque Yórgos Lánthimos, on pense immédiatement à un cinéaste qui bouscule. Avec Bugonia, présenté en septembre dernier à la Mostra de Venise, le maître de l’absurde, de la satire corrosive et du malaise esthétique confirme, si c'était nécessaire, son image et son statut. Adaptation libre du film sud-coréen Save the Green Planet!, sorti en 2003, ce nouveau long-métrage nous plonge dans un cauchemar contemporain sous couvert de science-fiction décalée.

L’histoire pose rapidement ses bases : Michelle Fuller (Emma Stone), PDG implacable d’une multinationale pharmaceutique, se retrouve kidnappée par Teddy (Jesse Plemons) et son cousin (Aidan Delbis), deux marginaux persuadés qu’elle est en réalité une extraterrestre ayant pour objectif de détruire de la planète.

De ce kidnapping farfelu, presque grotesque, se déploie dans un premier temps un huis clos assez savoureux, rythmé par des dialogues cruels et des situations absurdes. Mais très vite, le récit prend une ampleur beaucoup plus profonde. Car Teddy et son cousin ne sont peut-être pas que de simples illuminés : leurs obsessions renvoient à des angoisses bien réelles, de la crise écologique aux dérives du capitalisme. Et Michelle, derrière ses airs de victime, incarne ce pouvoir opaque, intouchable, qui échappe à toute forme de justice.

À travers ses personnages, Yórgos Lánthimos ne donne jamais de réponse claire et préfère jouer sur l’ambiguïté : paranoïa délirante ou lucidité extrême ? Conspiration ou vérité cachée ? C’est précisément ce trouble qui rend Bugonia si excitant et dérangeant à la fois. Tout est orchestré avec finesse et style : fidèle à son habitude, le cinéaste signe une mise en scène d’une élégance singulière. Le film, produit par Saint Laurent Productions (la maison de couture qui s’aventure désormais dans le cinéma), déploie une esthétique d’une précision évidente. Rien n’est laissé au hasard : décors quasi claustrophobiques, costumes sobres sur mesure, couleurs froides tout concourt à un univers immédiatement reconnaissable, où chaque plan respire la sophistication.
Les interprètes trouvent parfaitement leur place dans cet univers insolite. Jesse Plemons avec un mélange de douceur et de menace, campe un ravisseur inquiétant mais pathétique. Il en devient presque attendrissant dans sa conviction d’être le seul à pouvoir sauver la Terre. Emma Stone, devenue la collaboratrice favorite du cinéaste (il la dirige pour la quatrième fois), impressionne par son autorité glaciale, faisant planer le doute sur sa véritable identité. Son engagement est d’ailleurs total : elle n’a pas hésité à se raser la tête pour incarner cette figure de pouvoir ambigüe.

Bugonia amuse, déconcerte et secoue en même temps. Peu de comédies de la sorte ont su conjuguer autant de rires et d’angoisses, autant de folie et de lucidité sur notre époque. Parce que sous ses allures de délire de science-fiction, le film réussit pleinement à capter l’air du temps : défiance envers les élites, peur écologique, prolifération des théories du complot. Et Yórgos Lánthimos, fidèle à lui-même, transforme ce chaos contemporain en pur cinéma, totalement jouissif.

Bugonia

Deux hommes obsédés par la conspiration kidnappent une grande PDG, convaincus qu'elle est un extraterrestre qui a l'intention de détruire la Terre.

Constant Carbonnelle

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