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Dahomey : Un art contre l'oubli

Raïssa Alingabo Yowali M'Bilo

Caisses en bois telles des cercueils, manipulations méticuleuses, gants en plastique et avion.

Dahomey s’ouvre sur le monologue caverneux d’une statuette du Royaume disparu du Dahomey, actuel Bénin. C’est l’une des vingt-six œuvres prêtes à être restituées par la France. Le récit de la sculpture royale nous plonge dans la pénombre d’un exil sans fin, la violence d’un arrachement involontaire et les questionnements sur le futur. Que signifie revenir à la vie, retourner dans un chez-soi radicalement différent des rives qu’on a quittées, après des siècles d’absence ? C’est dans un voyage spatio-temporel que nous embarque le documentaire de Mati Diop : on passe d’une éternelle nuit à la vibration solaire d’une capitale africaine ; d’un passé sans fin à un présent plein d’avenir. Paris-Cotonou, aller-simple.

Comme à son habitude, la réalisatrice franco-sénégalaise donne la parole aux personnes - en particulier, la jeunesse africaine - qu’on entend encore trop rarement. Profondément ancré dans la réalité des gens qu’elle filme, son cinéma en devient à la fois le témoin et le passeur. Dans Dahomey, les prises de parole font état des impacts concrets du pillage du patrimoine national. Les intervenant·es, des étudiant·es pour la plupart, parlent de leur rapport à cet héritage collectif : la colonisation et ses conséquences, le néo-impérialisme mais également l’avenir sont notamment abordés. Car s’il est question du passé, l’identité et la reconstruction sont aussi au cœur du débat.

Un débat qui s’avère passionnant, aussi riche que rythmé, plein d’esprit et d’humour. Vitrine d’une société béninoise, jeune, conscientisée et ayant en main son propre avenir, Dahomey porte aussi la voix de nations qui font depuis toujours partie de l’Histoire du monde, quoiqu’on en ait dit. Les nombreuses et récentes discussions sur la restitution d'œuvres culturelles soulignent la charge symbolique de ceux-ci. Loin d’être de simples pièces matérielles, elles constituent l’âme des peuples et c’est cette partie d’elles-mêmes que les nations africaines réclament. Certaines, depuis les indépendances.

Si on n’adhère pas forcément à certains choix (donner la parole à des œuvres d’art), ils participent néanmoins à la haute teneur politique du film. Ces dispositifs entrent dans une démarche générale de Mati Diop : dans plusieurs de ses œuvres, le fantastique fait irruption, s’insérant dans le réel ou la fiction. Ici, les éléments surnaturels permettent de faire dialoguer des temporalités différentes. Malheureusement, l’artifice nous a semblé soit trop peu exploité soit superflu.

Le documentaire, récompensé de l’Ours d’Or au Festival de Berlin, confirme néanmoins une des forces de Mati Diop : sa grande capacité à incarner des sujets politiques dans des histoires qui nous touchent. On se souvient du très émouvant et excellent long-métrage Atlantique, avec lequel la réalisatrice ramenait la migration à sa dimension dramatiquer, dans une œuvre aussi puissante que poétique et, une fois n’est pas coutume - permettant à tout un chacun de s’identifier aux personnages. Avec Dahomey (ou avec ses court et moyen métrages Atlantiques et Mille Soleils), la réalisatrice fait parler les vivant·es et les mort·e, et nous fait parvenir leurs mots avec une grande humilité. Dans son cinéma, les défunt·es sont la mémoire qui refuse de disparaître. C’est un art contre l’oubli.

Grâce à la puissance des images et des histoires qu’elle porte à l’écran, l’auteure multiprimée permet un véritable déplacement de la pensée, et participe à renouveler nos regards.

Retrouvez toutes les critiques cinés de la semaine sur Surimpressions.

Dahomey

Ours d'or du meilleur film à la Berlinale 2024, le documentaire de Mati Diop retrace avec poésie et légereté la restitution de 26 œuvres d’art au Bénin.

Raïssa Alingabo Yowali M'Bilo