Pour son premier long métrage, tourné alors qu’il n’avait que 24 ans, Nicolas Winding Refn s’enfonce dans le quotidien violent et désenchanté de Frank, un petit dealer de drogue évoluant dans les rues de Copenhague. Un quotidien que le réalisateur de Drive observe avec une approche réaliste et influencée par le mouvement Dogme 95, initié par Thomas Vinterberg et Lars Von Trier. Filmé caméra à l’épaule, dans une lumière naturelle et sons ambiants, Pusher s’inscrit en partie dans cette esthétique de l’instant brut, sans artifices, loin de la débauche d’effets spéciaux des productions américaines.
On y suit donc Frank (Kim Bodnia), qui tente de garder le contrôle alors que sa vie part en vrille à la suite d’un deal raté. À ses côtés, Tonny (Mads Mikkelsen, déjà remarquable), son sidekick impulsif et instable, apporte un contraste électrique. Face à eux, Milo, un trafiquant serbe sournois, cache derrière son attitude désuète et pathétique une menace implacable. Tous évoluent dans un monde sans glamour, où la drogue ne rime ni avec pouvoir ni avec liberté, mais avec dette, violence et solitude.
Refn observe ces bandits avec une caméra voyeuriste qui ne les lâche pas d’une semelle, préférant scruter leurs failles et leurs contradictions, que les contextualiser. Frank apparaît comme le reflet d’une masculinité incapable d’exprimer ses émotions autrement que par la fuite ou l’agression. Mais son mutisme progressif est moins un style auquel il se prête qu’un cri étouffé.
De cette approche quasi-documentaire s’échappe par moment les obsessions esthétiques futures du cinéaste, empreint de touches néon discrètes et de notes de synthé. Avec ce premier épisode, Refn pose également les fondations d’un univers narratif plus vaste: ses deux suites se centrent chacune sur un personnage déjà apparu ici, mais abordent avec une fraîcheur renouvelée les thématiques de la paternité et de la vieillesse. Tendu et poisseux, ce coup d’essai n’a en tout cas rien perdu de sa modernité, et nous donnerait presque envie de revoir le réalisateur se confronter de nouveau à plus de contraintes.