Critiques

Sirat: entre le ciel et l’enfer

Jean-François Pluijgers

Sirât s'ouvre dans le feu d'une rave party clandestine organisée dans le désert, au pied des montagnes du sud marocain. C'est là, au coeur de la transe et des beats techno de Kangding Ray, que débarque un homme, Luis (Sergi Lopez). Il est accompagné de son jeune fils, Esteban (Bruno Nunez Arjona), et de leur chien, Pipa, et ils sont à la recherche de Mar, fille et soeur disparue depuis cinq mois, dont ils distribuent la photo aux participants, sans succès. Quand l'armée vient disperser les ravers, Luis décide, sur une impulsion soudaine, d'en suivre un petit groupe, marginaux magnifiques mettant le cap plus au sud, vers la Mauritanie, une fête plus loin. Et l'étrange convoi de s'enfoncer dans les étendues désertiques, dans une atmosphère de déglingue (post-)apocalyptique, tandis que la radio crache, en sourdine, les échos d'un conflit qui pourrait bien être le dernier...

Dans la tradition islamique, Sirât désigne le pont reliant l'enfer et le paradis, plus fin qu'un cheveu et plus tranchant qu'une épée, et que chaque âme doit traverser au jour du Jugement dernier. Le cinéaste franco-espagnol Oliver Laxe (Mimosas, Viendra le feu) parle, pour sa part, d'un "chemin intérieur qui te pousse à mourir avant de mourir", l'aventure physique débordant sur un horizon métaphysique. Si l'on pense fugacement à Gerry, The Sorcerer ou encore à la saga Mad Max, Sirât est cependant un film viscéralement personnel, road-trip existentiel et sensoriel entraînant ses protagonistes dans un étrange voyage aux confins de la mort alors qu'alentour, le monde s'effondre. Inscrite dans un environnement naturel d'une foudroyante beauté, pulsée par des vibrations techno ensorcelantes, il y a là une expérience de cinéma radicale et envoûtante, équipée crépusculaire et lumineuse à la fois embarquant le spectateur en territoire inconnu.

Sirat

Le réalisateur espagnol Oliver Laxe vous emmène dans un voyage spectaculaire à travers le désert marocain. Alors que les basses de la bande originale entraînante résonnent dans vos oreilles, Laxe vous tient en haleine.

Jean-François Pluijgers