Critiques

Tardes de soledad: Tauromachisme

Simon Lionnet

Trois ans après Pacifiction, Albert Serra abandonne temporairement la fiction et s’essaye pour la première fois au documentaire. Un style auquel le réalisateur ne semblait pourtant pas prédestiné comme le révèlent ses récentes déclarations en interview, où il affirme que le documentaire est souvent peu captivant, étant le résultat de fainéants incapables de diriger des acteurs. Le voir choisir le sujet de la corrida a néanmoins un certain sens : art pour certains, aberration pour beaucoup, elle est un spectacle à la mise en scène codifiée mais vecteur de situations aussi spectaculaire qu’imprévisible.

Expliquer cette pratique, Serra s’en fiche. Ce qui intéresse le réalisateur catalan c’est de la filmer dans sa forme la plus inédite: sans fards ni panneaux explicatifs mais à l’aide d’une narration cyclique où s’enchaînent en boucle les trajets en van du matador star Andrés Roca Rey et de sa cuadrilla (son équipe active dans l’arène), les combats et les lentes mises à mort des taureaux. Le tout sans filmer un seul instant le public pour exposer, comme son titre l’indique, la solitude des acteurs, mais aussi des victimes de cette funeste performance.

Derrière cette structure répétitive et hypnotique, Albert Serra se montre néanmoins d'une grande générosité dans les détails de cet univers qu'on ne peut ou ne veut pas voir. Il capture un environnement terriblement masculin - l’absence totale de femmes y est frappante - où la violence extrême des affrontements cohabite avec le ridicule. Il y a cette fascination de l'entourage du matador pour ses testicules (qui deviennent une figure inhérente des encouragements et célébrations qui lui sont adressées), ses sessions d’habillage grotesques, ses grimaces guerrières et la présence exacerbée de la religion.

Ambigu dans son supposé refus de trancher, d’une étrange beauté mais constamment insoutenable, Tardes de soledad laisse un goût amer et complexe en bouche. Celui d’avoir indéniablement assisté à une proposition inédite, mais qui croule sous le poids des regards de détresse solitaire que nous lancent parfois les taureaux à travers l’objectif de la caméra.

Tardes de soledad

À travers le portrait du jeune Andrés Roca Rey, star incontournable de la corrida contemporaine, Albert Serra (Pacifiction) dépeint la détermination et la solitude qui distinguent la vie d'un torero.

Simon Lionnet