Critiques

The Brutalist: l'ambition des grands films

Simon Lionnet

Remarqué pour certains de ses rôles (Mysterious Skin, Funny Games US) et ses premières réalisations (L’Enfance d’un chef, et surtout Vox Lux), Brady Corbet repasse une troisième fois derrière la caméra avec The Brutalist, projet gargantuesque sur plusieurs décennies de la vie de László Tóth, un architecte juif, fictif, ayant fui la Hongrie pour les États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Chaleureusement accueilli et récompensé du Lion d’Argent du meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, le film prouve sa valeur dès la première apparition, tétanisante, de son personnage principal. Dans un amas de bruits de foules et de métal, László (Adrien Brody, excellent dans la continuité de son rôle dans Le Pianiste) tente péniblement de se frayer un chemin vers la sortie de la cale du bateau dans lequel il traverse l’océan Atlantique. Un tourbillon aussi infernal que virtuose, soutenu par le thème musical récurrent de Daniel Blumberg, qui se termine sur l’apparition de la Statue de la Liberté dans un splendide plan inversé, premier aperçu d’une représentation désillusionnée des États-Unis.

Fraîchement débarqué en terre promise, László rejoint son cousin Attila (Alessandro Nivola) en Pennsylvanie, et apprend que son épouse, restée en Hongrie, est toujours vivante. Propriétaire d’un magasin de meuble et marié à une Américaine, ce dernier a troqué son accent et son nom hongrois plusieurs années auparavant pour faire office de modèle d’assimilation. C’est par lui qu’il va ensuite faire la rencontre de Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), un riche industriel qui va lui confier la réalisation d’un centre communautaire - un projet démesuré dont le processus créatif et la construction vont constituer le fil rouge du récit et appuyer ses thèmes majeurs.

Dans un premier temps, Corbet renoue avec la tradition des grandes fresques historiques étrillant le rêve américain (on pense aux Portes du paradis de Michael Cimino, The Immigrant de James Gray et bien d’autres). Si les premiers instants de The Brutalist laissent penser à son personnage principal que la méritocratie est un concept fonctionnel aux États-Unis, les événements n’auront de cesse de lui faire comprendre que le système en place est profondément pourri et cadenassé. Au fur et à mesure que le chantier avance, László mange de plein fouet ce que le capitalisme a de pire, en particulier au travers du personnage de Guy Pearce, représentation d’une bourgeoisie aux relents esclavagistes, aussi nombriliste que peu cultivée. En témoigne l’une des meilleures scènes du film, où l’industriel se livre à un monologue lénifiant, avec lequel contraste complètement la passionnante réflexion de László sur le lien entre les traumatismes du passé et son art, l’un des centres de réflexion principaux du film.

Pour Brady Corbet, c’est également l’occasion de dresser le parallèle entre la figure de l’architecte et son propre métier de réalisateur. Tous deux sont soumis à la pression d’un chantier, dont les enjeux financiers et créatifs semblent les dépasser. Avec sa durée de 3h35 (entracte compris), son tournage en VistaVision qui offre au film une ampleur visuelle indéniable (malgré son petit budget d’environ 10 millions de dollars), The Brutalist possède cette forme et cette ambition des “grands films”. De ces plans dans les couloirs de la construction de László à ce train de marchandises déraillant dans un nuage de vapeurs en passant par ces sublimes séquences dans les carrières de marbre de Carrare, le monstre cinématographique de Corbet décroche la mâchoire à d’innombrables reprises, et parvient à insuffler une véritable ampleur à son récit. Malheureusement, la deuxième partie et un épilogue balourds, comptant sur une poignée d’effets de manche et de surdramatisation dispensables, viennent quelque peu tasser les espoirs d’un chef-d’œuvre. Ni film musée, ni film-somme, The Brutalist est presque à la hauteur des ambitions de son auteur, mais reste malgré tout la création d’un artiste qui se cherche encore un peu.

The Brutalist

L'architecte László Tóth (Adrien Brody) fuit l'Europe de l'après-guerre avec sa femme Erzsébet et se retrouve en Pennsylvanie, où un mystérieux et riche client change leur vie.

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