Chaleureusement accueilli et récompensé du Lion d’Argent du meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, le film prouve sa valeur dès la première apparition, tétanisante, de son personnage principal. Dans un amas de bruits de foules et de métal, László (Adrien Brody, excellent dans la continuité de son rôle dans Le Pianiste) tente péniblement de se frayer un chemin vers la sortie de la cale du bateau dans lequel il traverse l’océan Atlantique. Un tourbillon aussi infernal que virtuose, soutenu par le thème musical récurrent de Daniel Blumberg, qui se termine sur l’apparition de la Statue de la Liberté dans un splendide plan inversé, premier aperçu d’une représentation désillusionnée des États-Unis.
Fraîchement débarqué en terre promise, László rejoint son cousin Attila (Alessandro Nivola) en Pennsylvanie, et apprend que son épouse, restée en Hongrie, est toujours vivante. Propriétaire d’un magasin de meuble et marié à une Américaine, ce dernier a troqué son accent et son nom hongrois plusieurs années auparavant pour faire office de modèle d’assimilation. C’est par lui qu’il va ensuite faire la rencontre de Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), un riche industriel qui va lui confier la réalisation d’un centre communautaire - un projet démesuré dont le processus créatif et la construction vont constituer le fil rouge du récit et appuyer ses thèmes majeurs.
Dans un premier temps, Corbet renoue avec la tradition des grandes fresques historiques étrillant le rêve américain (on pense aux Portes du paradis de Michael Cimino, The Immigrant de James Gray et bien d’autres). Si les premiers instants de The Brutalist laissent penser à son personnage principal que la méritocratie est un concept fonctionnel aux États-Unis, les événements n’auront de cesse de lui faire comprendre que le système en place est profondément pourri et cadenassé. Au fur et à mesure que le chantier avance, László mange de plein fouet ce que le capitalisme a de pire, en particulier au travers du personnage de Guy Pearce, représentation d’une bourgeoisie aux relents esclavagistes, aussi nombriliste que peu cultivée. En témoigne l’une des meilleures scènes du film, où l’industriel se livre à un monologue lénifiant, avec lequel contraste complètement la passionnante réflexion de László sur le lien entre les traumatismes du passé et son art, l’un des centres de réflexion principaux du film.