Quelle est la clé de voûte du cinéma de George Miller ? Depuis la fin des années 70, le cinéaste australien semble cultiver le grand écart et alterne les tonalités et les genres à travers une filmographie pour le moins éclectique : **Mad Max, Les Sorcières d’Eastwick, Happy Feet, Trois Mille ans à t’attendre…**Une carrière qui semble a priori incohérente et dispersée, insoumise à la fameuse politique des auteurs tant chérie par les critiques. En vérité, la singularité de George Miller se retrouve moins dans ses sujets que dans la manière de les raconter. À travers l’évolution de la saga Mad Max, retour sur un narrateur pas comme les autres.
1979. Mad Max premier du nom. À l’origine de la saga qui a révélé Mel Gibson, il y a un long-métrage fauché, tourné dans des conditions de sécurité douteuses, dont le premier miracle est d’avoir été conçu sans qu’aucun cascadeur ne trouve la mort. La suite de l’histoire est connue : le long-métrage choque le monde à sa sortie par son ultra-violence, qui lui vaut une interdiction aux moins de dix-huit ans dans plusieurs pays. Classification qui ne fait qu’accroître son statut d’objet culte un peu turbulent. Néanmoins, on aurait tort d’éclairer le succès du film à la seule lueur de sa violence. Il y a d’abord un talent évident de mise en scène dans Mad Max, une modernité éclatante dans les courses-poursuites qui ringardise instantanément la concurrence. Mais surtout, il y a Max, un héros que Miller n’a pas imaginé avec des velléités de franchise mais qui trouve un retentissement inattendu auprès du public.
“Pour les Français, Max était un desperado à moto. Au Japon, c’était un samouraï rejeté par la société. En Scandinavie, un guerrier viking. Partout, ce film a trouvé une résonance particulière dans la culture locale. Sans le savoir, nous avions puisé à la source du mythe du héros universel.” confie le cinéaste australien. Mythe et universel. Les mots-clés ont été lancés. Lorsqu’il s’attelle à l’inévitable suite, le réalisateur se replonge avec avidité dans le monomythe de Campbell et les théories de Jung. Son objectif ? Maximiser l’universalité de son récit.
En 1981, Mad Max 2 : Le Défi sort dans les salles obscures et n’a pas grand-chose à voir avec le premier opus. La note d’intention est évidente dès l’introduction, où un vieillard raconte l’histoire d’un “guerrier solitaire” qui a libéré sa tribu de l’oppression lorsqu’il était enfant. Un préambule qui rappelle la transmission orale des fables et qui place dès les premières minutes Max comme une entité légendaire. Dans l'épilogue, le vieillard conclut “Après cela, nous ne l'avons jamais revu”. Max n’est plus ce policier acculé qui a perdu sa famille, il est désormais une figure fantomatique et vengeresse dont l’humanité a été enterrée en même temps que la civilisation. Un archétype de loner, presque privé d’évolution psychologique. Comme son contemporain Rambo, Max fait partie de ces héros de fiction dont l’imaginaire collectif a davantage retenu l’image reflétée dans le second opus que celle du premier.
Mais ce n’est pas le seul changement opéré dans Mad Max 2. Peu concerné par la cohérence diégétique, George Miller a transformé le monde vaguement dystopique du premier film en un véritable post-apo d’influence pulp, vaste étendue aride où le gasoil règne en seule denrée. Une métamorphose radicale, dont les codes seront réinvestis dans les films suivants, Au-delà du dôme de Tonnerre et Fury Road. Une allégorie de la terreur d’une guerre atomique, certes, mais surtout, un territoire parfait pour que Miller développe sa vision d’un divertissement universel. Le monde de Mad Max, turbulent, sans loi, lui donne exactement ce dont il a besoin : l’épure. Débarrassé des oripeaux d’une société organisée, Miller explore l’être humain dans sa forme la plus brute et décomplexée au travers d’intrigues désertées de toute afféterie narrative.
Si Mad Max 2 demeure l’un des films d’action les plus cultes des années 80 et que le troisième opus remet une pièce dans la machine mythologique en transposant Max dans le rôle d’un messie sans nom, la démarche de Miller atteint indéniablement son pinacle avec Fury Road en 2015. Projet de longue haleine à la genèse tourmentée, ce quatrième film frappe par ce qu’il n’est pas. Il n’est pas un objet nostalgique surfant sur les années 80. Il n’est pas saturé d’effets numériques. Plus étonnant encore : alors que la même année Star Wars 7 et Terminator 5 optaient pour le retour en grande pompe de leur acteur fétiche désormais vieilli - respectivement Harrison Ford et Arnold Schwarzenegger - Miller a préféré remplacer Mel Gibson par le fringant Tom Hardy. Autre preuve que Max est avant tout un archétype intemporel.
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