Interview

Rencontre avec Audrey Diwan pour "Emmanuelle"

VERTIGO, Steven Tuffin

Trois ans après le Lion d'or remporté à Venise par Audrey Diwan pour son drame sur l'avortement "L'Événement", la cinéaste française propose une nouvelle adaptation. Son Emmanuelle est devenue une figure très différente (incarnée ici par Noémie Merlant) de celle du classique soft-erotic du même nom qui a projeté l'actrice néerlandaise Sylvia Kristel sur la scène mondiale dans les années 70.

Le Male gaze dominait ouvertement ce film. Quelle était votre réflexion.

DIWAN: ‘C’est une question très directe ! Quoi qu'il en soit, je comprends qu'il semble étrange qu'une réalisatrice qui a remporté de nombreux prix pour un films d’art et essai se lance dans ce qui peux sembler être la réadaptation d’un film de pure exploitation de la femme et de ses escapades sexuelles. Lorsque les producteurs m'ont proposé le projet, j'ai également été surpris. Je n'avais jamais vu la version précédente dans son intégralité et je n'avais pas encore lu le livre d'origine. Après l’avoir fait, je me suis demandé s'il était encore possible d'utiliser l'érotisme pour raconter une histoire aujourd'hui. Est-il encore possible de capter l'imagination des cinéphiles maintenant qu'ils sont submergés d'images pornographiques ? Je me suis également demandé s'il était encore possible de représenter des scènes de sexe de manière originale. De nos jours, ce genre de moments cinématographiques semble soit plutôt terne, soit carrément vulgaire. Pourtant, l'érotisme peut être une chose très puissante. Il suffit de regarder le magistral In the Mood for Love de Wong Kar-Wai. Il n'y a rien d'explicite dans ce film et pourtant, en tant que spectateur, on ne peut s'empêcher d'être excité.’

Pourquoi n'avez-vous jamais vu l'adaptation cinématographique de 1974 dans son intégralité ? Des collègues réalisateurs comme Quentin Tarantino et Eli Roth s'en délectent.

‘Encore une fois, ce sont des hommes. (rires) Je rigole mais en réalité je suis sérieuse. J'ai senti que ce film n'était pas fait pour moi. Le male gaze dominait ouvertement, alors que le livre raconte une histoire de plaisir féminin. Mon Emmanuelle est donc une mise à jour de la source originale, l'histoire d'une femme traversant la vie sans plaisir et découvrant lentement mais sûrement comment apprécier le sexe.’

**En ces temps de polarisation, une adaptation moderne d'Emmanuelle aurait pu devenir soit un pur déchet, soit un pamphlet éveillé. En fin de compte, votre film n'est ni l'un ni l'autre. **

‘Ces questions ne m'intéressaient pas d'un iota à l'époque. Bien sûr, beaucoup de cinéphiles s'attendaient à ce que la réalisatrice de L’Événement fasse d'Emmanuelle une métaphore de MeToo, mais le matériau de départ ne s'y prêtait pas à mes yeux. Pendant la phase d’écriture, la Emmanuelle d'aujourd'hui est rapidement devenue une maniaque du contrôle qui, pour le compte d'une chaîne internationale, met tout en œuvre pour parfaire les hôtels de luxe dans les moindres détails. C'est un travail incroyablement stressant, qui fait qu'elle ne s'amuse de rien. Cela m'a permis de parler de différents types de désirs : non seulement physiques, mais aussi matériels. Nous vivons dans une société de consommation étouffante qui a affecté jusqu'à notre vie sexuelle. Tout est devenu une bouchée rapide, mais plus rien n'est vraiment satisfaisant.’

Le livre et le film précédent se déroulaient en Thaïlande. Pourquoi avoir déplacé l'action à Hong Kong ?

‘Je cherchais un lieu où le modernisme et la tradition s'entremêlent. De plus, l'esprit du colonialisme hante toujours Hong Kong. Cela est palpable dans l'hôtel où se déroule la majeure partie du film. Aux étages supérieurs se trouvent les clients occidentaux, servis par des locaux qui, aux étages inférieurs, peinent et transpirent pour faire tourner la machine à plaisir.’

Votre personnage principal n'hésite pas à renvoyer un jeune homme qui l'a espionnée alors qu'elle prenait un bain. Sur le moment cependant, elle semble trouver cela plutôt excitant.

‘Je voulais ainsi montrer qu'Emmanuelle fait partie de la machine au début du film. Ce n'est pas seulement un acte sans cœur, c'est aussi un acte hypocrite, parce que tout dans l'hôtel ne sert qu'à satisfaire des désirs. Peu à peu, cependant, au contact des clients de l'hôtel, des collègues et des habitants, Emmanuelle apprend à être moins rigide. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si elle ne quitte guère l'hôtel au début. Ce lieu symbolise l'espace mental dans lequel elle est enfermée.

Une impressionnante séquence de tempête semble constituer une avancée importante à cet égard.

‘À mes yeux, c'est peut-être la scène la plus importante du film. Un typhon comme celui-là, c'est le chaos à l'état pur. On ne peut s'empêcher de s'y abandonner. Au début, Emmanuelle essaie encore de contrôler la situation, mais au bout d'un moment, elle se rend compte qu'elle doit abandonner son perfectionnisme. Ironiquement, j'ai vécu le tournage de cette scène de la même manière. Le premier jour, nous avons été confrontés de manière inattendue à un véritable typhon, qui nous a tout simplement empêchés de tourner. Aussi frustrant que cela ait été pour moi, je n'ai rien pu faire d'autre que de m'y résigner.’

Le film met en scène Noémie Merlant, connue entre autres pour Portrait de la jeune fille en feu, dans le rôle d'Emmanuelle. À l'origine, c'est Léa Seydoux, bien plus connue, qui devait incarner le personnage principal.

‘La presse à scandale s'est vraiment emparée de ce qui n'était, à mon avis, rien d'autre qu'un fait divers. De toute façon, il n'y a pas eu de véritable drame. Je sais simplement que je suis une metteuse en scène très exigeante. Il est donc capital que mon actrice principale et moi soyons sur la même longueur d'onde si nous voulons travailler ensemble. Bien que j'aime Léa à la folie - nous restons très amies et nous travaillerons un jour ensemble - il est vite apparu que nous avions des idées différentes sur le personnage. Nous avons donc décidé ensemble qu'il valait mieux que je cherche une autre actrice.’

Avez-vous changé quelque chose au sujet du personnage lorsque vous avez choisi Noémie ?

‘Le fait qu'elle et son partenaire Will Sharpe (connu pour la deuxième saison de The White Lotus, ndlr.) soient eux-mêmes réalisateurs a eu un impact important. Ils proposaient constamment de nouvelles idées. Souvent, elles étaient si bonnes que je n'avais pas d'autre choix que de les intégrer. Ils ont tous deux offert une perspective très personnelle sur les dialogues de leurs personnages, ce qui les a rendus encore plus pénibles.’

Naomi Watts, inoubliable il y a quelques années dans Mulholland Drive, se distingue également.

‘Et pourtant, ce n'est pas pour cela que je l'ai choisie ! (rires) Ce qui m'avait particulièrement frappé dans ce classique de David Lynch, c'était la polyvalence de son jeu. Dans Emmanuelle, elle a transformé ce qui aurait pu être un cliché ambulant - le directeur d'hôtel sévère - en un personnage étonnamment complexe. Elle a insisté pour jouer son rôle de manière plus vulnérable que je ne l'avais envisagé au départ, et elle a été à la hauteur. Cette douceur inattendue rend le personnage d'autant plus puissant. Elle refuse de se soumettre à l'approche coercitive de la chaîne d'hôtels pour laquelle Emmanuelle et elle travaillent.’

Pas d’Emmanuelle sans scène de sexe. Comment s’est déroulé le tournage ?

Personnellement, c'était assez difficile parce que j'ai une certaine appréhension dans ce domaine. C'est pourquoi je les ai abordées d'une manière différente. J'ai cherché ce que je voulais raconter et je me suis concentré sur ce que ces scènes signifiaient. D'ailleurs, j'aborde les scènes d'action de la même manière. Si elles ne parlent de rien, elles sont complètement vides. En revanche, si elles poussent l'histoire plus loin, elles marquent les esprits.

Emmanuelle est à l'affiche à partir du 25 septembre dans les salles de cinéma.

Retrouvez les actualités cinés de la semaine sur Vertigo.

VERTIGO, Steven Tuffin

Films semblables