Le Male gaze dominait ouvertement ce film. Quelle était votre réflexion.
DIWAN: ‘C’est une question très directe ! Quoi qu'il en soit, je comprends qu'il semble étrange qu'une réalisatrice qui a remporté de nombreux prix pour un films d’art et essai se lance dans ce qui peux sembler être la réadaptation d’un film de pure exploitation de la femme et de ses escapades sexuelles. Lorsque les producteurs m'ont proposé le projet, j'ai également été surpris. Je n'avais jamais vu la version précédente dans son intégralité et je n'avais pas encore lu le livre d'origine. Après l’avoir fait, je me suis demandé s'il était encore possible d'utiliser l'érotisme pour raconter une histoire aujourd'hui. Est-il encore possible de capter l'imagination des cinéphiles maintenant qu'ils sont submergés d'images pornographiques ? Je me suis également demandé s'il était encore possible de représenter des scènes de sexe de manière originale. De nos jours, ce genre de moments cinématographiques semble soit plutôt terne, soit carrément vulgaire. Pourtant, l'érotisme peut être une chose très puissante. Il suffit de regarder le magistral In the Mood for Love de Wong Kar-Wai. Il n'y a rien d'explicite dans ce film et pourtant, en tant que spectateur, on ne peut s'empêcher d'être excité.’
Pourquoi n'avez-vous jamais vu l'adaptation cinématographique de 1974 dans son intégralité ? Des collègues réalisateurs comme Quentin Tarantino et Eli Roth s'en délectent.
‘Encore une fois, ce sont des hommes. (rires) Je rigole mais en réalité je suis sérieuse. J'ai senti que ce film n'était pas fait pour moi. Le male gaze dominait ouvertement, alors que le livre raconte une histoire de plaisir féminin. Mon Emmanuelle est donc une mise à jour de la source originale, l'histoire d'une femme traversant la vie sans plaisir et découvrant lentement mais sûrement comment apprécier le sexe.’
**En ces temps de polarisation, une adaptation moderne d'Emmanuelle aurait pu devenir soit un pur déchet, soit un pamphlet éveillé. En fin de compte, votre film n'est ni l'un ni l'autre. **
‘Ces questions ne m'intéressaient pas d'un iota à l'époque. Bien sûr, beaucoup de cinéphiles s'attendaient à ce que la réalisatrice de L’Événement fasse d'Emmanuelle une métaphore de MeToo, mais le matériau de départ ne s'y prêtait pas à mes yeux. Pendant la phase d’écriture, la Emmanuelle d'aujourd'hui est rapidement devenue une maniaque du contrôle qui, pour le compte d'une chaîne internationale, met tout en œuvre pour parfaire les hôtels de luxe dans les moindres détails. C'est un travail incroyablement stressant, qui fait qu'elle ne s'amuse de rien. Cela m'a permis de parler de différents types de désirs : non seulement physiques, mais aussi matériels. Nous vivons dans une société de consommation étouffante qui a affecté jusqu'à notre vie sexuelle. Tout est devenu une bouchée rapide, mais plus rien n'est vraiment satisfaisant.’