En Belgique, tout le monde est familier avec l'affaire Dutroux, et donc avec une partie de ce que raconte Maldoror. Mais ce n’est pas forcément le cas en France, et encore moins dans d’autres pays…
L'idée, c'était de faire un film de cinéma assez universel. Donc on se posait toujours la question à l'écriture et au montage : est-ce qu’un jeune Coréen, ou un jeune Espagnol, ou un jeune Japonais comprend le film dans ses rouages dramaturgiques ? Ils ne voient pas ce qu’on voit chez nous, où c'est beaucoup plus sensible.
Vous avez fait un vaste travail de recherche, mais vous prenez aussi certaines libertés avec les faits. D’ailleurs les noms des personnes impliquées ont été changés : il n’y a pas de Marc Dutroux, il y a un Marcel Dedieu. Il n’y a pas de Michel Lelièvre, il y a un Didier Renard. C’était une obligation ou un choix ?
Je ne pouvais pas, pour des raisons juridiques. Et puis, je ne pense pas que ça avait vraiment beaucoup d'intérêt de reprendre les vrais noms. J'avais vingt ans à l'époque donc c'est sûr qu'il y a des choses dont je voulais traiter frontalement. Mais je ne suis ni un juge ni un avocat, mon but n'était pas de faire éclater la vérité, c'était d'abord de faire un film qui se tient, avec une bonne dose de thriller et d'horreur. Mais tout ça avec énormément de respect, pour les victimes d'abord. Je reste dans mon rôle de cinéaste. Je joue avec des éléments qui sont hautement inflammables, je le sais. Mais j'ai aujourd'hui, à mon avis, l'expérience pour appréhender un sujet pareil. Mon but principal reste quand même de faire un bon film de cinéma. Si en plus, ce film peut, de par son sujet, rendre un peu d'intégrité à une population qui a été vraiment piétinée par cette affaire, et leur donner un peu de panache et un peu de fierté, j'en suis le plus heureux des hommes.
C’est un film avec une forme plus brute et moins sophistiquée que vos précédents films.
Il fallait l’inscrire dans quelque chose de plus réel. Je crois que c'est le premier film que je fais qui va contre ma propre volonté de faire des beaux plans. Je ne voulais absolument pas rentrer dans une esthétisation. Je voulais que le film ait une âpreté, qu’il soit presque comme un documentaire et qu’il soit cru. C’est la première fois que je tourne en digital, et ça m'a permis de me déployer et de tourner beaucoup, beaucoup plus. Je crois que ça m'ennuie de plus en plus, le cinéma trop propre, avec des beaux plans léchés, etc. Ce qui m'intéresse de plus en plus, c'est une forme d'authenticité. Ce que je vois à l'image, j'ai besoin d'y croire. Je pense que c'est encore un truc que je vais pousser de manière plus radicale sur mon prochain film.
Il paraît que Maldoror est le premier volet d’une trilogie autour de traumatismes de l’Histoire belge. Est-ce exact ?
C'est tout à fait vrai. On part au Congo bientôt, on va faire un film sur l'exploitation caoutchoutière pendant le règne de Léopold II, sur toute la brutalité et l'impunité de quelques Belges sur cet immense territoire, qui faisaient travailler les indigènes pour récolter un maximum de caoutchouc. On est en train de terminer le scénario. Le troisième film, ce sera la collaboration, Léon Degrelle et le rexisme.
Est-ce que la Belgique a du mal à affronter ses traumatismes au cinéma ?
La Belgique est un petit pays qui a deux siècles, et qui a une histoire de malades. Et la façon dont elle se drape d'une bonne conscience est assez terrifiante. Je pense que c'est un pays où il y a énormément à raconter. Je suis parfois étonné du manque d'audace de certains metteurs en scène belges, que ce soit au théâtre ou au cinéma. L'affaire Dutroux est quand même assez incroyable et je pense qu'on pourrait en faire dix films. L'état indépendant du Congo, ce que certains Belges ont fait là, aussi. L’affaire Dutroux, c’est une affaire d'État. C'est-à-dire que la Belgique et la Constitution belge ont failli imploser. Il n’aurait pas fallu grand-chose pour que tout s'embrase véritablement. Les gens avaient une vraie colère, et je me demande : “qu'est ce qu'il est advenu de cette colère” ? C'est comme les traumatismes profonds. On peut les oublier, on veut les oublier, on les refoule. Quand j'ai annoncé que j'allais faire un film sur cette affaire-là, les gens me disaient : “mais tu es complètement fou, il ne faut pas faire ça, jamais de la vie”. Il y a quelque chose qui est profondément mal digéré, et qu'il faut pouvoir rendre d'une manière ou d'une autre. Je ne dis pas que mon film, c'est la solution. Simplement, je contribue à ma petite échelle.
Anthony Bajon, qui joue le gendarme Paul Chartier, semble encore moins âgé dans le film qu’il ne l’est réellement. Était-ce intentionnel d’avoir un personnage principal aussi jeune ?
Oui, j'avais vraiment envie qu’Anthony et Alba [Gaïa Bellugi, NDLR] ressemblent presque à des enfants, qu'ils aient cette espèce de fraîcheur et d'insouciance. Le personnage de Chartier est très jeune, effectivement, mais il n'est pas insouciant puisqu'il vient d'un milieu difficile. Mais il aspire en fait à ce bonheur, c’est un idéaliste. Au début, il est dans une pulsion de vie, dans une impulsivité, et il va se fracasser à la vie, à la corruption, à la complexité. Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec ce que moi j'ai vécu. J'avais vingt ans quand c'est arrivé, et je m'apprêtais à embrasser ma vie d'adulte, et j'étais complètement idéaliste. Tu penses que la justice fait bien son travail, que la police est là et qu'elle fait son boulot. Plus tu avances, plus tu te rends compte que la boue est de plus en plus profonde.
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