Interview

Maura Delpero à propos de "Vermiglio": "J’ai ressenti le besoin d’entrer en dialogue avec ce passé. Je pense que c’était ma manière de surmonter cette douleur."

À Vermiglio, village pauvre des Alpes italiennes, le temps semble s’être arrêté. Nous sommes en 1944, et la guerre paraît loin. Mais tout change avec l’arrivée d’un déserteur qui trouve refuge dans leur communauté. Grand Prix du Jury au Festival de Venise, Vermiglio, dont la sortie est prévue pour le 19 mars, est une belle chronique familiale, aussi intime que vaste. Et teintée d'autobiographie, comme nous l’explique la réalisatrice Maura Delpero.

Comment avez-vous découvert le village où se déroule votre film ?

Mes grands-parents et mon père sont nés à Vermiglio. J'y ai d'ailleurs passé une grande partie de mon enfance. Après la mort de mon père, j'y suis retourné pour gérer mon deuil, et j’ai réalisé que je connaissais ce village et ses habitants, mais pas à quoi il devait ressembler dans le passé, avant ma naissance. J’ai ressenti le besoin d’entrer en dialogue avec ce passé. Je pense que c’était ma manière de surmonter cette douleur, et j’ai découvert un monde que je ne soupçonnais pas.

N’aviez-vous pas peur de décrire ce passé de manière trop romantique, puisqu’il s’agit de votre famille ?

Je me suis posé la question. Mais je sais que je ne suis pas naturellement nostalgique. Je n'idéalise pas le passé, je ne pense pas que les gens étaient mieux lotis lorsqu'ils gelaient ou n'avaient pas la chance d'aller à l'université. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles je suis heureuse de vivre de nos jours. Bien sûr, la vie à l’époque avait aussi ses beaux côtés. J’ai essayé de peindre un portrait nuancé et réaliste des choses. Même chose pour la nature : j’ai essayé de décrire la beauté de ce monde, mais aussi son âpreté.

Le village dans lequel se déroule le film semble complètement isolé…

C'est une des raisons pour lesquelles je voulais vraiment faire ce film. Je suis une grande fan de huis clos. Je pense que c'est un genre très cinématographique, un cadre parfait pour l'étude de cas. Une petite communauté, une famille. En même temps, Vermiglio est un film choral avec de nombreuses histoires et personnages différents. Le défi, c’est qu’il faut trouver un équilibre. Je voulais que la guerre se fasse sentir dans tous les aspects de la vie, même s'il n'y a pas de violence, même si elle est extérieure. Aucune bombe ne tombe, mais une grande partie de ce qui se passe est une conséquence indirecte de cette guerre.

Vous accordez également une forte attention aux activités quotidiennes, de la traite des vaches et les soins aux enfants, jusqu’à la coupe du bois et la préparation des repas. Avez-vous fait beaucoup de recherches pour les représenter ?

Je connais cette culture. Quand mes tantes me parlent, c'est dans ce dialecte. Une grande partie de ce que vous voyez dans le film sont des souvenirs et des expériences personnelles. Mais j'ai aussi fait beaucoup de recherches. J'ai lu des livres, regardé des photos, réalisé des interviews, emménagé dans la maison de mes grands-parents. Je suis rigoureuse lorsque je fais un film. Je ne veux pas aborder des choses que je ne connais pas vraiment. Je fais vraiment un gros travail d'immersion. J'ai essayé de traire une vache moi-même. Quand je suis là avec ces gens, je veux faire partie de ce monde, pas les regarder de l'extérieur.

Vous avez fait appel à des acteur·ices non-professionnel·les. Comment les avez-vous choisi·es ?

Je suis allé dans les cafés locaux, dans les granges, et j’ai pris des photos des gens, des visages, de personnes qui ne seraient jamais venues à un casting. J'ai bu du vin avec eux, et je leur ai parlé. Le problème c’est que je suis tombée enceinte pendant cette période, et je n’avais plus le droit de boire de l’alcool. Ce qui a rendu la socialisation avec ces gens plus difficile (rires). Heureusement, ils me connaissaient déjà à ce stade. Au début, ils étaient réticents à jouer dans un film, mais ils sont finalement venus. Je pense qu'ils sont si beaux parce qu'ils sont réels. Non pas qu’ils soient figés dans le temps, mais ils représentent une culture très spécifique.

Vermiglio

Un village italien tranquille est réveillé par l'arrivée de Pietro, un soldat déserteur sicilien.