The Life of Chuck : Du bonheur d'être mortel

Thibault Scohier

Mais qui est Chuck Krantz ? Alors que la société s’effondre, son visage est partout et pourtant personne ne le reconnaît. L’étonnante première partie de The Life of Chuck donne le ton d’un film si foutraque, énergique et généreux qu’il est difficile à résumer. Il commence d’ailleurs par son troisième acte et une double fin : celle du monde, ravagé par une crise écologique devenue totale et celle d’un homme omniprésent que le reste du long-métrage va s’évertuer à mieux nous faire connaître.

En adaptant la novella éponyme de Stephen King, le cinéaste et scénariste Mike Flanagan (The Haunting of Hill House, Midnight Mass) s’inscrit dans un cadre moins horrifique que ses productions habituelles mais on y retrouve malgré tout ses procédés de prédilection : les différentes lignes temporelles qui s’entremêlent, un soupçon de maison hantée ou encore une galerie de personnages secondaires bien croqués. Le défilé des acteur·ices, dont beaucoup ont joué dans les séries dirigées par Flanagan, est particulièrement savoureux et on peut sentir l’amour qu’il entretient pour ses personnages à travers leur écriture. Distinguons en particulier Chiwetel Ejiofor en professeur dépassé, Samantha Sloyan habitée par le démon de la danse et Mark Hamill en grand-père matheux et alcoolique.

De la vie de Chuck, qu’on suit à rebours, on va surtout apprendre à connaître sa passion pour la danse. Les meilleures scènes du film le montrent, adulte et enfant, s’adonner au plaisir du rythme. Flanagan sur-découpe un peu ces moments, mais parvient à plonger le public dans un bain de pur plaisir sensoriel. Ces séquences sont d’autant plus agréables qu’elles offrent un contre-point aux phases d’exposition plus bavardes. Il réussit à trouver un équilibre délicat entre la littérarité du texte de Stephen King et les phases purement basées sur le plaisir scopique et auditif, toujours époustouflantes.
Film résolument optimiste, The Life of Chuck semble parfois appartenir à une autre époque, celle du cinéma américain des années 1990, dans la veine d’un Darabont ou d’un Zemeckis. The Life of Chuck est un feel-good movie comme on en fait plus, qui cherche à convaincre son public que la vie mérite d’être vécue, même quand on a conscience de sa mortalité, même face à un avenir croulant sous les catastrophes. Or, à un moment où l'industrie du spectacle hollywoodien est davantage dominée par l'ironie, le pessimisme et le cynisme, la sentimentalité et les valeurs du film semblent presque anachroniques.

Avec la figure de Chuck, individu moral, faillible mais bienveillant, l’exemple du « bon père de famille », il fantasme une représentation de l’homme idéal (le masculin est de rigueur) fort nostalgique et un peu dépassé. Et même quand le film mobilise l’imaginaire de l’effondrement écologique, très temps en phase avec le présent, il en fait un simple décor et un prétexte pour des discussions existentielles qui évacuent complètement ses enjeux. La puissance de son message - il faut vivre sa vie pleinement même face à la mort et à une possible destruction de la planète - aurait eu plus de sens s’il l’avait inscrite dans le besoin impérieux de nouveaux modèles, de nouvelles manières de faire individu et société.

Au-delà de cette lecture, The Life of Chuck demeure un film profondément aimable et émouvant. Il possède une énergie et une sincérité qui manque à Hollywood. Ils sont trop rares les longs-métrages desquels on ressort un sourire au coin des lèvres et le cœur un peu chahuté. Et il faut admettre que c’est parfois ce dont on a besoin pour supporter le poids du monde.

The Life of Chuck

Une œuvre poignante, transcendant les genres et semblable à une étreinte chaleureuse, adaptée d’une nouvelle de Stephen King et qui a reçu le prix du public au dernier Festival du Film de Toronto.

Thibault Scohier