Critiques

Ikiru: Au sommet de l’émotion

Julien Del Percio

Le nom d’Akira Kurosawa est souvent synonyme d’épopées épiques et de films de samouraïs à l’humanité déchirante. Or, on aurait tort d’éclairer la foisonnante carrière du cinéaste au seul éclat du sabre : ce serait oublier sa contribution essentielle au polar (Entre le ciel et l’enfer), aux films oniriques (Rêves) ou au drame.

Vivre nous conte l’histoire d’une mort annoncée. Momifié depuis des décennies dans un labeur administratif lénifiant, Kanji Watanabe apprend qu’il est atteint d’un cancer. D’abord terrassé par la nouvelle, le vieil homme va doucement se reconnecter à la vie, et mettre ses dernières semaines au service d’un projet commun : la construction d’un parc dans un coin insalubre de Tokyo.

Comme souvent chez Kurosawa, le récit prend la forme d’une parabole. Son Mr. Watanabe agit d’abord comme un androïde, un rouage d’une municipalité morne, encore meurtrie par les traumas de la Seconde Guerre mondiale. Un plan mémorable au début du métrage nous montre d’ailleurs le personnage littéralement englouti par la paperasse qui s’amoncelle sur son bureau. Son destin funeste va agir comme un révélateur du monde qui l’entoure, et de sa force active sur celui-ci.

Plus qu’une simple leçon sur l’importance de la vie, le film dessine avant tout la trajectoire d’un individu glissant vers le collectif. Une bascule qui est intégrée dans la narration même du long-métrage : le point de vue de Mr. Watanabe disparaît du dernier tiers et sa lutte kafkaïenne pour la création du parc nous est rapportée par ses collègues. Cet ultime segment permet à la communauté de mesurer enfin le dévouement d’un homme dont le silence et la discrétion auront été les maîtres-mots jusqu’au bout. plé

Dans la peau de Watanabe, Takashi Shimura trouve le rôle de sa vie. Sa silhouette voûtée, son regard désuet, ses expressions balbutiantes deviennent les premiers moteurs de la mise en scène. Sans verser dans le dolorisme ou le mélo appuyé, Kurosawa emmène magistralement son récit vers un épilogue chantonné dont l’écho mélancolique n’a jamais quitté mon cœur.

Ikiru

L'étude feutrée et profondément humaine de Kurosawa sur la solitude face à la mort jette un regard doux sur ce que signifie être en vie.

Julien Del Percio