Critiques

The Bikeriders: Hors du temps

Thibault Scohier

Il s’est fait attendre. Voilà huit ans qu’on espérait un nouveau film du cinéaste Jeff Nichols, remarqué pour Take Shelter en 2011 et Mud en 2012. Il semble avoir pâti de son double échec au box-office de 2016 avec le pourtant très réussi Midnight Special et l’aimable Loving. Avec The Bikeriders, il signe un retour aux fondamentaux : l’exploration des marges états-uniennes et des multiples fractures qui constituent l’histoire du pays.

Directement inspiré d’un livre de photographie de Danny Lyon, le film suit l’émergence d’un club de motards dans le Chicago des années 60. Ce qui commence comme une fraternité de gars un peu paumés grossit au point de devenir un gang mafieux trempant dans le trafic de drogue L’originalité du long-métrage est à chercher dans sa structure narrative, mêlant influence documentaire et rise and fall. Les photos de Lyon, qu’on retrouve d’ailleurs au générique de fin, sont régulièrement citées visuellement. À cela s’ajoutent une reconstitution très soignée et un travail de la lumière naturelle renforçant un profond sentiment de réalité. Surtout, les interviews du photojournaliste, reproduites dans le film, servent de fil rouge, en particulier celle de Kathy (Jodie Comer), jeune femme rencontrant par hasard son futur mari Benny (Austin Butler) au milieu des motards.

Comme dans tout bon rise and fall, ce sont les personnages et les acteurs les incarnant qui font le sel de The Bikeriders. Interprétant la seule protagoniste féminine, Jodie Comer (Killing Eve, Le Dernier Duel) est la plus juste et la plus touchante dans la multiplicité de registres qu’elle doit habiter. Austin Butler, mutique et sauvage, convoque le Marlon Brando de L’Équipée sauvage (directement cité), tandis que Boyd Holbrook porte sur ses épaules le jusqu’au-boutisme de la « nouvelle génération » de riders, ivres d’une violence sans limite. Du côté des acteurs plus installés, Tom Hardy campe un chef de club fasciné par son propre pouvoir et pas insensible au charme de Benny. Chaque scène devient l’occasion d’une rencontre avec un personnage bien brossé : l’alcoolique nonchalant de Michael Shannon (acteur fétiche de Nichols), le menaçant joueur de couteau californien de Norman Reedus, ou encore le truculent Happy Anderson qu’on aimerait voir plus souvent.

Le film n’est pas exempt de mélancolie et on peut regretter qu’il évite de traiter certaines zones d’ombre – pourquoi l’iconographie nazie, par exemple, devient-elle de plus en plus voyante au fur et à mesure que le club s’étend ? Comment expliquer cette fusion étrange de symboles militaires ou autoritaires avec le souffle hippie des sixties qui paraît tout à fait contradictoire ? Dans un autre registre, le traitement du groupe original et du gang a tendance à gommer les traits les moins agréables des fondateurs. La manière de présenter le harcèlement que subit Kathy au début, puis à la fin, illustre assez bien l’idéalisation d’une époque et la diabolisation d’une autre. Ce qui sauve d’ailleurs ces scènes qui utilisent la violence de genre comme un rebondissement, c’est le point de vue (évitant le male gaze) centré sur Kathy et sa place de narratrice officieuse du film. Lire la suite sur Surimpressions.

Thibault Scohier

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