Interview

Laura Wandel à propos de L'intérêt d'Adam : "C'est aussi un film de révolte, quelque part, sur deux femmes laissées-pour-compte, aux prises avec la maternité"

Elli Mastorou

Un hôpital surmené, une mère célibataire isolée, une infirmière dévouée : tout le monde veut agir dans l’intérêt d’Adam, un petit garçon de quatre ans hospitalisé pour malnutrition. Mais personne ne s’accorde sur la bonne façon. Avec L’Intérêt d’Adam, récit tendu porté par Léa Drucker et Anamaria Vartolomei, la cinéaste Laura Wandel (Un Monde) tisse un propos âpre et crucial sur la place du soin et de l’empathie. Après sa première à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, et une sortie fracassante dans plus de 200 salles en France, le film arrive enfin dans les salles belges le 15 octobre. Propos recueillis par Elli Mastorou.

De quels questionnements est né L’intérêt d’Adam ?

Je me suis toujours sentie attirée par le monde de l'hôpital. C’est un microcosme de la société qui m'a toujours à la fois fascinée et angoissée. Si je n'étais pas cinéaste, je pense que je me serais dirigée vers ce secteur-là. Pour ce film, je suis allée en observation dans un hôpital pendant plusieurs semaines. Cette histoire est née d'une conversation avec un pédiatre, qui me parlait d'une mère qui nourrissait son enfant d'une certaine manière, en étant persuadée que c'était bien. Elle ne pouvait pas conscientiser qu'elle était en train de lui faire du mal. Ça m'a touchée, je me suis dit que cette femme devait forcément être en détresse.

Comme dans Un Monde, qui parlait d’harcèlement scolaire, L’intérêt d’Adam touche au thème de l’enfance.

Oui, la question de l'enfance est centrale pour moi. Il y a quelque chose qui me bouleverse chez les enfants. Ils ne sont pas assez considérés, alors qu’ils sont le futur de l'humanité. Ils n'ont aucun pouvoir de décision sur rien, ils doivent s'en sortir comme ils peuvent avec ce qu'ils ont... Dans l'unité pédiatrique que j'ai observée, au-delà de la question du soin médical, ce qui m’a touchée c'est le rapport social, notamment avec les parents. J'ai pu voir à quel point ce lien est déterminant dans la guérison de l'enfant. C'est vraiment une triangulation enfant-soignants-parents. J’ai trouvé ça fascinant.

Cette triangulation est au cœur du film : finalement, qui est mieux placé pour déterminer ce qui est dans l'intérêt de l'enfant ?

Il n’y a pas de réponse à ça, oui. C'est aussi un film de révolte, quelque part, sur deux femmes laissées-pour-compte, aux prises avec la maternité, qui se débattent chacune avec les moyens qu'elles ont... On a tellement envie de bien faire quand on est mère, et il y a tellement d'injonctions autour de la maternité, que ça peut faire péter un câble.

Comment s’est fait le choix de Léa Drucker et Anamaria Vartolomei, qui jouent respectivement Lucie, l’infirmière, et Rebecca, la mère ?

Léa Drucker, je l’ai découverte quand je faisais partie du comité de sélection du Brussels Short Film Festival via le court-métrage Avant que de tout perdre de Xavier Legrand : c’était un choc de découvrir cette comédienne extraordinaire. Et puis évidemment je l’ai vue ensuite dans Jusqu'à La Garde (le long-métrage de Xavier Legrand inspiré de son court-métrage, NDLR) et encore récemment dans L'Eté dernier de Catherine Breillat. Physiquement elle a quelque chose d’hyper intéressant : elle a une certaine froideur, mais en même temps il y a quelque chose dans ses yeux de l'ordre du secret. Pour le personnage de Lucie, c'était exactement ce qu'il fallait, donc j'ai vraiment écrit le rôle pour elle. Ça s'est fait très vite : on lui a envoyé le scénario, et environ une semaine après, je la rencontrais. Quand elle est arrivée dans le café, j'ai failli pleurer tellement j'étais émue et impressionnée. Quant à Anamaria (révélée dans L’Evènement, NDLR), au départ une autre actrice était pressentie. J'avais déjà pensé à elle en amont, mais je me disais qu'elle était un peu jeune pour le rôle. Puis finalement, quand ça ne s'est pas fait avec l'autre comédienne, j'ai tout de suite repensé à elle, et je me suis dit que finalement, c'est pas plus mal qu'elle soit jeune, ça raconte aussi quelque chose... Donc les choses se sont bien mises.

Et pour l’acteur qui incarne le petit Adam ?

Ce sont des jumeaux : Jules et Léo Delsart. Le premier incarne Adam, et le second est sa doublure. Ce qui m'a scotchée avec Jules, c'est sa manière de regarder les adultes dans les yeux. Il a une présence et une volonté incroyables. Le matin on mettait tout en place avec Léo, et l'après-midi on tournait avec Jules. Pour des questions légales de travail d’enfant, c’est mieux de travailler avec des jumeaux. J'ai travaillé avec le même coach enfants que dans Un Monde, et on a eu recours au même système : en amont du tournage, on a discuté de chaque scène, et ils l’ont dessinée. Au moment du tournage, ils revoyaient le dessin, ça leur rappelait la scène, et en même temps, je dirigeais en direct.

Comme dans Un Monde, L’intérêt d’Adam est tourné en caméra épaule, avec des plans serrés, près des visages… Comment vous et votre équipe faites pour trouver la meilleure façon cinématographique de raconter une histoire ?

Déjà, je suis très proche de mon chef op, Frédéric Noirhomme (Un Monde, Il pleut dans la maison…) et de ma scripte, Elise Van Durme (Close, Girl...). Ils ont lu pratiquement chacune des versions du scénario. C'est important pour moi d'impliquer les membres de l’équipe assez en amont, pour qu'ils aient le temps de s'imprégner de la matière, mais aussi pour qu'ils voient les chemins par lesquels je passe, parce que ça fait partie de la création aussi. Après ils peuvent me dire « Tu te rappelles en dans cette version-là y avait telle chose... ». Pour moi un film, autant je suis la cheffe d'orchestre, autant c'est quelque chose qu'on construit ensemble. Avec Fred et Elise, on a pu bénéficier de quelques jours dans le décor du tournage, et on a cherché ensemble, scène par scène, les intentions, les déplacements… Sur le tournage c’était pareil : le matin on cherchait, l’après-midi on tournait. Le scénario, c’est une base de travail, mais il faut aussi prendre en compte la réalité du moment, l’aspect organique. J’essaie d’être attentive à ça.

Le tournage s’est déroulé dans un vrai hôpital en Belgique ?

Oui, on a tourné dans un hôpital en fonction à Huy, c'était une opportunité extraordinaire. Et c'était fondamental, car tourner ce film dans un studio n'aurait eu aucun sens pour moi. J'avais envie qu’il soit imprégné de cette énergie de l'hôpital. C'était un service de revalidation, donc niveau décoration, on a recréé des éléments pour lui donner l'aspect d’un service pédiatrique. Mais la pédiatrie était deux étages au-dessus, et ce qui était super c'est que le personnel soignant venait souvent observer le tournage. C’était aussi utile pour orienter Léa dans son rôle d’infirmière, notamment au niveau des gestes...

Le film est coproduit par Les Films du Fleuve, la société de production des frères Dardenne. Comment vous situez-vous par rapport à leur cinéma, avez-vous le sentiment d’être dans un ‘héritage dardennien’ ?

C'est un héritage bien sûr, parce que j'ai énormément appris de leurs films, ils font partie des personnes qui m'ont donné envie de faire du cinéma. On m’en parle souvent, en France comme en Belgique, et je suis très fière d'être comparée à eux, ce sont des très grands cinéastes. Cependant, mon film c'est mon film. Mon travail est différent.

C'est aussi une réactualisation de cet héritage, avec un point de vue féminin, d'autres enjeux...

C'est vrai.

À part les Dardenne, quels autres films ont marqué votre parcours ? Quels sont vos premiers souvenirs de cinéma ?

Petite, mes grands-parents vivaient à Ottignies et m'emmenaient au cinéma régulièrement. Mon premier souvenir je pense que c'est Aladdin : c’était incroyable de voir ça sur un grand écran... J'ai vu plein de Disney comme ça avec mes grands-parents. Deux autres dessins animés qui m’ont marqué, et que je regardais en boucle : La Dernière Licorne (1982) et Le Roi et L'Oiseau (1980). Des films avec un imaginaire très puissant, situés dans monde utopique dirigé par des tyrans, avec des personnages qui essaient de s'en sortir... Je pense que ce qui me fascinait, c'est ce combat pour la liberté.

À partir de là, comment s'est développée votre cinéphilie au point de vouloir faire du cinéma ?

Avant mes études à l’IAD, j'ai vu Jeanne Dielman (1975) de Chantal Akerman au cinéma Galeries à Bruxelles : c'était un énorme choc. Je tremblais en sortant de la séance. Plus tard j'ai été marquée par Japón (2002) de Carlos Reygadas. Ce sont des films qui parlent à mon corps plus qu'à ma tête, qui me font réagir physiquement, me donnent des émotions très fortes. J'allais beaucoup au vidéoclub aussi, et j'ai vu beaucoup de films de Christophe Honoré, de Michael Haneke... Pour moi ce qui fait la force du cinéma, plus que les autres médiums, c'est que tu te mets vraiment à la place de l'autre. Tu peux devenir l'autre. Cette force de l'empathie, je trouve ça extraordinaire. D’autant plus dans une salle, où on est tous connectés au même moment. C'est pour ça que j'ai dit l'autre jour lors d'une conversation avec un chauffeur de taxi, que si c'est pour faire des films pour des plateformes, je préfère arrêter mon métier. Je sais que c'est catégorique, mais pour moi il n'y a rien de plus puissant que l'expérience commune du cinéma : on sort de chez soi, et on va à la rencontre de l'autre. C'est un endroit précieux, et un des derniers au monde où (a priori) on coupe son téléphone ! Alors oui, c'est vrai que c’est devenu très cher, et l'accès est un gros problème. Mais la force du cinéma, que le streaming n'a pas, c'est le lien social. Et ça, en tant qu'humains, on en a besoin !

L'intérêt d'Adam

Face à la détresse d’une jeune mère et son fils, une infirmière décide de tout mettre en œuvre pour les aider, quitte à défier sa hiérarchie.

Elli Mastorou

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