MIGUEL GOMES : "Je voulais montrer l'immense diversité de notre planète. Nous vivons dans un monde spectaculairement vaste et le cinéma est le moyen idéal pour le rendre tangible. J'aime aussi confronter la réalité et la fiction. C'est pourquoi j'ai alterné une sorte de conte de fées sur la vie dans la Birmanie coloniale avec des séquences du voyage préparatoire que j'ai effectué en Asie. Le cinéma se situe invariablement à la frontière ténue entre le rêve et la réalité et j'aime jouer avec ces deux notions. Cette dichotomie est aussi ancienne que le cinéma lui-même. Parmi les pionniers, il y a d'une part les frères Lumière, qui ont filmé l'entrée d'un train dans une gare. C'était tellement réaliste que des gens se sont enfuis en masse de la salle. D'autre part, Georges Méliès, qui a multiplié les tableaux imaginatifs sur le grand écran, l'exemple le plus célèbre étant celui de la lune avec une fusée dans l'œil dans « Le voyage dans la lune ».
Parlez-nous de ce voyage dont vous avez intégré les images dans Grand Tour.
Je les dois à mes fantastiques producteurs ! (rires) Bien avant de coucher une seule lettre du scénario sur le papier, j'avais déjà en tête le voyage des personnages principaux. Comme j'avais de toute façon envie d'aller explorer les lieux, j'ai demandé à mes producteurs si je pouvais me rendre sur place avec une petite équipe pour filmer une sorte de carnet de voyage. À ma grande surprise, ils ont accepté, après quoi je suis parti tête baissée, car normalement, on ne reçoit jamais d'argent avant un scénario. Au retour de ce voyage, j'ai commencé à écrire comme une sorte de réponse à ce que nous avions filmé.
Quelles séquences recherchiez-vous lors de ce voyage ?
Tout d'abord, des situations hors du commun. Par exemple, à Yangon au Myanmar - anciennement Rangoon en Birmanie - nous avons vu une grande roue qui n'était pas motorisée. Au lieu de cela, les hommes devaient utiliser le poids de leur corps et faire toutes sortes d'acrobaties pour faire avancer l'engin. Pour moi, cela correspondait parfaitement au moment du film où le personnage principal abandonne sa fiancée.
C’est-à-dire ?
Mon Dieu, beaucoup de choses de ce genre sont liées à la licence poétique ou à une certaine intuition, bien sûr. Ici, j'ai vu un lien entre le personnage principal féminin qui se sent soudain complètement perdu et la folie de l'homme qui doit faire tourner la roue en permanence.
Avez-vous songé à n'utiliser que les séquences de voyage ?
En tant que réalisateur, je suis constamment à la recherche de la grâce qui nous entoure. Seulement, je ne veux pas me limiter à la réalité. Ne serait-ce que pour pouvoir créer encore plus d'émerveillement.
Alors que nous sommes submergés par les images, pensez-vous qu’on puisse encore émerveiller les gens ?
Je suis obligé de le croire. Sinon, mon travail est complètement inutile. Bien sûr, le public était plus naïf autrefois, il se trouvait dans le même état d'esprit qu’un enfant devant un spectacle de marionnettes. C'est précisément pour cela que j'expérimente de nouvelles formes de narration. Je veux faire en sorte que le spectateur se perde complètement dans ce qu'il voit à l'écran. Savez-vous quand je sais que j'ai réussi ? Lorsque quelqu'un vient me parler d'une scène qu'il croit avoir vue, mais que je n'ai fait qu'insinuer. (rires)
Grand Tour est à l'affiche à partir du 25 décembre dans les salles Cineville