Interview

Miwako van Weyenberg à propos de Soft Leaves

Emin Kalkan

Dans son premier long métrage Soft Leaves, la réalisatrice Miwako van Weyenberg explore l’enfance et le passage à l’âge adulte, tout en naviguant entre les cultures japonaises et belges. Lors du Festival international du film de Rotterdam (IFFR), nous avons discuté avec elle de sa propre quête identitaire, de son travail avec des enfants et de la façon dont même une simple feuille peut l’inspirer.

Le jour de la première mondiale de Soft Leaves au Festival du film de Rotterdam, la réalisatrice bruxelloise Miwako van Weyenberg et son casting sont réunis pour la première fois depuis longtemps. Et peut-être aussi pour la dernière fois, raconte-t-elle : « Un des acteurs vit à Taïwan, un autre en France et le reste en Belgique – nous ne nous étions pas revus depuis le tournage du film. J’ai hâte de partager ce moment avec eux. »

Dans ce récit initiatique (coming-of-age), nous suivons Yuna, 11 ans (interprétée par Lill Berteloot), qui vit avec son père en Belgique et attend avec impatience les vacances d’été. Elle aime le saut en hauteur, le dessin et l’observation des oiseaux. Elle adore aussi son père Julien, qui est à la fois son entraîneur et son modèle. Mais un jour d’été, un accident bouleverse leur quotidien : Julien fait une chute grave et tombe dans le coma. Son frère Kai, qui étudie en Allemagne, revient immédiatement en Belgique. Ensemble, ils se retrouvent seuls dans une maison silencieuse, sans parent. Lorsque leur mère japonaise, dont ils sont éloignés, apprend la nouvelle, elle s’envole également pour la Belgique, accompagnée par surprise de leur demi-sœur. La famille est réunie, mais l’ambiance reste pesante. Les enfants rendent visite à leur père à l’hôpital, reçoivent des baguettes en cadeau de leur mère et pleurent un être cher qui n’a pourtant pas encore disparu.

Le titre parle de lui-même : Soft Leaves est un film empreint de douceur. Dans ce village ensoleillé de Belgique, même les mauvaises nouvelles semblent souffler comme une brise légère. Pourtant, les décisions à prendre sont lourdes de conséquences. Yuna se retrouve face à un vide émotionnel et culturel : où est sa place ? En Belgique ? Au Japon ? Comment peut-elle assimiler tous ces changements ?

Dans un rythme contemplatif, le film dépeint une famille en crise. Kai et Yuna doivent réapprendre à vivre avec une culture qu’ils avaient laissée de côté, tandis que leur mère japonaise peine à retrouver ses repères en Belgique. Et puis, il y a leur demi-sœur, innocente et inconnue, qui cherche à se rapprocher de Yuna – mais celle-ci, repliée sur elle-même, attend silencieusement le réveil de son père. Entre ces différents mondes, Yuna tente de tracer son propre chemin. Soft Leaves est une traversée sinueuse entre la vie et la mort, l’enfance et l’âge adulte, la culture japonaise et belge.

Tout comme Yuna, la réalisatrice Miwako van Weyenberg a des origines belgo-japonaises, mais elle précise que Soft Leaves n’est pas une autobiographie : «Je n’ai pas vécu ce qu’elle traverse, mais les émotions et les sentiments qu’elle ressent viennent de moi, je les connais très bien. Pour moi, Soft Leaves est une quête d’identité – d’un côté entre différentes cultures, de l’autre au sein même de sa propre famille. Ces deux questionnements sont universels.»

Le processus d’écriture s’est fait naturellement: «Je savais à peu près ce que je voulais raconter. Mais j’ai mis sept ans à faire ce film et, entre-temps, non seulement l’histoire a évolué, mais moi aussi.»

Puisque vous partagez la même origine que Yuna, le film paraît très personnel et sincère.

«En effet, je suis moi-même belgo-japonaise. Comme je raconte une histoire intime, je ne voulais pas qu’elle mette en scène une famille entièrement belge ou entièrement japonaise – ce n’est pas une réalité que je connais bien. J’aurais eu plus de mal à y injecter quelque chose de personnel. En même temps, mon intention n’était pas de faire un film sur les différences culturelles ou les difficultés d’une famille mixte. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la crise identitaire, car c’est un aspect de ma vie que je ne pourrai jamais totalement laisser derrière moi. Aujourd’hui, je vois mon métissage culturel comme une richesse, mais inconsciemment, mes films gravitent toujours autour de cette question. Mes trois précédents courts-métrages parlaient souvent de la culture belgo-japonaise, sans que je m’en rende compte. Peut-être que je n’ai tout simplement pas encore fini d’explorer ce sujet.»

La représentation belgo-japonaise est très rare au cinéma.

«Je n’ai jamais vu d'autres films belgo-japonais. S’il en existe un, j’aimerais vraiment les découvrir. D’ailleurs, la représentation des personnes belgo-japonaises, et même asiatiques en général, reste encore très limitée dans les médias. Il y a des manques, et Soft Leaves est, en quelque sorte, un miroir pour moi. »
Lill Berteloot incarne Yuna à l’écran. C’est une véritable révélation. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

«À l’origine, le rôle avait été écrit pour un garçon. Mais quand Lill est entrée dans la salle de casting, j’ai su immédiatement que c’était elle. On m’a demandé si le personnage pouvait être une fille, et je n’y avais jamais pensé. Mais en voyant Lill jouer, c’est devenu une évidence. J’ai dû un peu ‘traquer’ la communauté japonaise en Belgique pour trouver mes acteurs. Comme je connais beaucoup de gens de cette communauté, cela m’a aidée. Pour tous les enfants du film, c’était leur première expérience devant la caméra. J’aime travailler avec des jeunes sans expérience, c’est toujours spontané et naturel. Et comme les adultes étaient des acteurs confirmés, cela a créé un bon équilibre.»

Diriger des enfants sans expérience n’est-il pas un défi ?

«Pour moi, c’est presque l’inverse. J’ai plus d’expérience avec les enfants qu’avec les adultes, donc ça ne m’a jamais posé de problème. Lill est aussi quelqu’un de très calme, elle ne stresse pas. Elle a énormément progressé et est devenue une actrice très professionnelle.»

Yuna semble être arrachée à son enfance du jour au lendemain.

«Je voulais que le film soit guidé par les émotions. L’histoire est importante, mais ce que Yuna ressent l’est encore plus. Je voulais capturer cette sensibilité enfantine, parce que nous avons tous été des enfants et pouvons nous y reconnaître. Yuna aime dessiner, observer la nature et les oiseaux, mais elle veut aussi un téléphone – ce qui la ramène à la réalité. Être enfant, c’est ça : une grande volonté, de l’obstination, mais aussi une impuissance face au monde des adultes. Souvent, les enfants sont infantilisés, alors que moi, je veux les traiter comme des égaux. C’est pourquoi je voulais montrer les situations à travers leurs yeux, plutôt que par le regard des adultes.»

Vous êtes-vous inspirée d’autres cinéastes ?

«Soft Leaves est un mélange de plusieurs influences. Pour l’aspect sensoriel, j’ai été inspirée par Hirokazu Kore-eda, qui a une manière incroyable de capturer la nostalgie et la placer dans le présent. Même une feuille posée quelque part peut être pour moi une source d’inspiration, avec cette idée : comment traduire cette sensation – celle de voir une feuille – en quelque chose d’audiovisuel ?"

C'est votre première grande entrée dans le cinéma belge. Es-tu prête pour la sortie internationale ?

« J’apprécie énormément le monde du cinéma belge, justement parce qu’il y a une dualité. Soft Leaves est une production flamando-wallonne et je trouve que cela fonctionne très bien. En Belgique, cela peut se faire de manière très naturelle, car nous avons déjà un mélange de langues. Le côté flamand et le côté wallon sont très différents, mais cela élargit aussi tes horizons. Tout le processus de création a duré sept ans, car faire un film est tout simplement difficile. Je n’ai pas oublié les moments difficiles – et il y en a eu, c’est certain ! – mais je pense que je suis une réalisatrice optimiste. En ce moment, je repense à tout cela avec beaucoup de nostalgie : l’écriture, le tournage, le montage. La seule chose qui me fait réaliser que tant de temps est passé, c’est que j’ai maintenant 31 ans. Il y a sept ans, j’étais encore très jeune. Ce furent des années formidables, et j’espère que les spectateurs pourront vivre et ressentir quelque chose de personnel et d’unique à travers mon film. »

Soft Leaves

Avec ce premier film très personnel, la réalisatrice Miwako van Weyenberg nous livre le portrait intimiste d’une jeune fille en quête d’identité et de reconnaissance.

Emin Kalkan