Quatre ans après avoir été révélée au grand public avec la comédie dramatique Julie (en douze chapitres), l’actrice norvégienne Renate Reinsve retrouve le réalisateur Joachim Trier pour le drame familial Valeur sentimentale.
Valeur sentimentale nous plonge dans une famille où les douleurs de chacun sont difficilement reconnues ou exprimées, jusqu'à ce que le père joué par Stellan Skarsgård décide d'écrire un film sur sa propre mère, et de le tourner dans la demeure familiale...
Renate Reinsve: C'était très agréable de mettre les mains dans la boue psychologique de ce clan, mais sans chercher à choquer pour autant. Joachim (Trier, NDLR) le résume très bien quand il clame que la tendresse est le nouveau punk. C'est exactement l'énergie qui a traversé la fabrication du film. La forme peut sembler évidente mais c'est le résultat d'une épure laborieuse, passée au filtre de personnages très bien caractérisés. Derrière la comédie ou le drame s'ouvre une exploration très intime de l'expérience humaine. Tout le monde a une famille dont il se sent proche ou éloigné. C'est cette tension entre la fusion et la distance que Joachim a voulu creuser, avec autant de soin que d'amour.
Jusqu'où vous êtes-vous sentie absorbée par l'aspect méta de l'histoire, qui suit la création d'un film dans le film ?
On s'est tous abandonnés à l'effet de miroir. Joachim a su créer un climat de confiance pour qu'on laisse remonter nos propres émotions. C’est drôle à admettre mais on a tous beaucoup pleuré pendant le tournage. Toutes nos vannes étaient ouvertes ! C'était dur comme procédé mais aussi très beau car ça nous a permis d’en apprendre beaucoup sur nous-mêmes.
Le non-dit guide les interactions du film. Comment avez-vous construit un tel degré d'intimité avec Stellan Skarsgård, qui joue votre père, et Inga Ibsdotter Lilleaas, qui joue votre sœur ?
Inga et moi nous sentions proches de nos personnages. Moi la girouette et elle le phare dans la nuit. Ça nous a permis d'avoir un avis sur la dynamique que nous devions créer. Quant à Stellan, un partenaire de son niveau permet de laisser tant de place à la tension qu'à la tendresse, de mêler les deux au point de parfois les confondre. J'ajouterais même que Stellan a adouci son rôle, plus rêche à la lecture du scénario. Ce qui est drôle c'est que lors des interviews pour le film, on a tendance à se comporter exactement comme nos personnages. Notre dynamique triangulaire ressurgit sans crier gare. Stellan emporte tout sur son passage, moi je cours derrière lui en essayant de le faire rire, et Inga nous observe avec indulgence (rires).
Votre étoile monte en flèche depuis Julie en douze chapitres, qui vous a valu le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2021. Valeur sentimentale vient d’emporter le grand Prix du Jury. Parvenez-vous à savourer tout cet emballement ?
J'y trouve beaucoup de plaisir, oui, mais je vais parfois trop loin. Je viens de présenter cinq films différents en l'espace de douze mois. On ne m'y reprendra plus. Deux par an, ce serait mieux pour en profiter pleinement. Car oui, j'ai l’énorme chance d’avoir le choix pour le moment, et je prends ce qui vient sans calculer. L'autre jour, on m'a comparée à Isabelle Huppert ! Que puis-je répondre à part « What the heck » (« Vous déconnez », NDLR) ? J'apprécie le compliment, bien entendu. Mais si je me mets à le croire, c'est le début de la fin.